Ecrivain en herbe

Si ça s'arrête

Sabrina termine de se préparer dans la salle de bain ; ce soir elle a envie de surprendre son mari. Après une douche relaxante, elle déplace le mitigeur pour avoir davantage d’eau fraîche. Elle veut garder « la tête froide » le plus longtemps possible, mais déjà, elle a envie de « ses » bras, de « ses » baisers, de « son » corps... Une fois séchée, elle enfile une nuisette suffisamment transparente pour ne laisser aucun doute quant à ses attentes.
Quelques gouttes de parfum pour parfaire sa tenue, puis elle se dirige vers leur chambre, sans bruit.

Elle est heureuse, depuis bientôt 6 ans, maintenant. Sa rencontre avec Alexandre fut un coup de foudre, lors d’une soirée entre amis, puis le charme a continué d’opérer au fil du temps.
Rapidement, ils ont décidé que l’avenir s’écrirait ensemble. Ils avaient peu attendu avant de choisir d’emménager dans leur premier appartement commun.
Tout aussi vite, leur vie a été rythmée par la venue de deux bouts de choux, d’abord Léa et, deux ans plus tard, Hugo.

Alexandre était déjà au lit, en train de lire le dernier roman de Didier Van Cauwelaert. Se tournant vers Sabrina, il ne peut cacher son plaisir de voir « sa femme » toujours aussi belle.
Leur étreinte est pleine de tendresse et de désir commun. Il est toujours aussi attentionné, recherchant d’abord son plaisir à elle, chacune de ses caresses attendant une réaction de sa femme.

Sabrina veut rendre heureux « son homme », en cherchant à son tour également tout ce qui est possible afin de lui apporter un plaisir unique. Elle est totalement à l’écoute du moindre de ses soupirs, de ses mouvements - tout ce qui pouvait trahir son contentement.

Cette fois encore, leur étreinte fut magique. Sabrina et Alexandre ont pu tous les deux profiter de l’attention, des caresses et de la passion de l’autre.

Une fois leurs corps rassasiés, Sabrina vint se blottir contre le torse d’Alexandre, encore essoufflé. Tout sourire, les amoureux ne mirent pas longtemps avant de se retrouver dans leur rêve.

En temps ordinaire, Sabrina ne se réveille pas la nuit mais pour une fois, ce n’est pas le réveil qui la tire de son sommeil, c’est un pressentiment douloureux. Elle regarde l’heure, projetée au plafond par le réveil : 02:37. Elle se tourne vers Alexandre… mais la place est vide.
« Mais où est-il ? » se demande-t-elle ?
Elle sort du lit avec difficulté, encore la tête embrumée. Elle se dirige vers le salon, où une petite lampe est allumée. Elle retrouve alors, Alexandre, avec son téléphone. Il est en train de pianoter sur son smartphone.

Cela fait plusieurs jours qu’Alexandre a un comportement étrange. Elle a fait comme si tout était normal. Pourtant, il rentrait de plus en tard du travail. Il ne l’informait pas sur son emploi du temps et restait vague sur certains de ses rendez-vous.
Mais comment imaginer que cet homme, son mari, avec qui elle venait de vivre un moment aussi intense, pouvait se lever durant la nuit pour envoyer un message à une autre femme ?

Leur couple paraît si solide, si passionné. D’ailleurs, il lui a souvent répété que, si la vie venait à les séparer, jamais il ne pourrait s’attacher à une autre femme.
Dans un couple, on pense toujours que l’un aime plus que l’autre. Pour elle, il était évident que c’était lui. Il était la fondation inébranlable de leur couple. Alors qu’elle affirmait que l’on ne peut pas dire ce que nous réserve l’avenir, lui, maintenait que c’était une évidence : « jamais je ne pourrais refaire ma vie. »

Pourtant depuis plusieurs semaines, il semblait que son « évidence » devenait de plus en plus floue.
« Mais pourquoi est-ce qu’il me fait souffrir ainsi ? »
Pour Sabrina, c’est une certitude : il la trompe,  rien n’est plus certain.
Malgré sa tristesse mêlée de colère, elle se sent incapable de lui parler ce soir. C’est trop dur.
Elle sent que jamais elle ne pourra tenir. Son coeur bat à « cent à l’heure » . Ses mains tremblent presque autant que ses jambes. Son regard est rempli de larmes.
« Non, ce soir, je ne peux pas lui parler. Cela fait déjà des semaines que les preuves s'accumulent, alors cela peut bien attendre encore quelques jours. Je dois d’abord me calmer. » Se dit-elle.

Alexandre, absorbé par son téléphone, n’a pas vu sa femme arriver sur le seuil du salon, puis repartir dans la chambre.

Cette nuit-là, Alexandre et Sabrina n’ont pas beaucoup dormi.

Le couché suivant est nettement plus froid, car Sabrina tente de mettre de la distance entre eux. Pourtant, Alexandre n’hésite pas à la serrer contre lui et à lui prodiguer des baisers dans le cou. Il veut accompagner son sommeil de tendresse.

Mais toutes ces marques d’affection ne font que renforcer la colère de Sabrina.
« Comment cet « homme » peut me faire ça et ensuite rejoindre une autre femme. » Sabrina serre les dents, « il ne faut pas craquer ».

Tout comme la veille, un réveil paniqué extrait Sabrina de son sommeil. Alexandre n’est à nouveau pas dans le lit. La lumière du salon est allumée. Elle le retrouve sur le canapé mais, à présent, c’est une lettre qu’il tient dans les mains. Cette fois, il lève ses yeux et il voit sa femme en larmes.

« Que se passe-t-il Alexandre ? » dit-elle avec des sanglots dans la voix.
« Je voulais t’en parler, Sabrina... mais c’est dur ! »
« Et tu penses que, pour moi, ce n’est pas difficile ? Tu rentres à n’importe quelle heure, tu me racontes des salades sur ton emploi du temps. Tu penses peut-être que je ne me rends compte de rien ? »
« Oui je comprends, mais c’est difficile de t’en parler ! » lui répond Alexandre, commençant à pleurer lui aussi.
« Alexandre, tu es en train de balancer notre vie à la poubelle. Mais mince, on a deux enfants ! Je pensais que tu nous aimais. Je pensais que tu m’aimais. »
« Sabrina, tu te trompes. Ce n’est pas ça ! »
« Je ne peux pas entendre ça. C’est trop dur. »

Sabrina se retourne pour se diriger vers la chambre, la colère est trop forte. Elle n’entend pas Alexandre qui la rattrape.

À peine la porte de leur chambre fermée, il la prend dans ses bras.

« Sabrina, je suis malade. Je vais mourir. »

Le coeur de Sabrina se glace. Elle a l’impression que l’on vient de lui planter un poignard dans la chair. Ses jambes  ne la portent plus et elle fait mine de tomber tandis qu’Alexandre la retient.
Lui qu’elle avait juré de détester trente secondes plus tôt, le considérant comme un monstre capable de trahir sa famille. C’est cet homme-là qui la soutient, la porte et l’assoit sur le lit avant de continuer :

« Je suis désolé, je voulais t’en parler. Mais ce n’était jamais le bon moment. Je ne voulais pas te rendre malheureuse. Et puis, au début je ne voulais pas y croire. »
« Mais Alexandre, c’est n’importe quoi. Tu ne peux pas être malade, tu es en pleine forme. Qui peut t’avoir dit ça ! On doit trouver une solution. Ce n’est pas possible, Alexandre. »
« J’ai déjà pris des rendez-vous avec de nombreux de médecins. Je souhaitais avoir plusieurs avis, c’est pour ça que je rentrais plus tard du travail. Aujourd’hui, j’ai reçu les derniers résultats, et c’est encore la même réponse que les autres fois. Je suis désolé ma chérie. »
« Je ne peux pas le croire Alexandre je ne peux pas. »
« Je sais, je sais. Je me suis inscrit sur des sites où l’on peut parler avec d’autres personnes qui sont dans la même situation que moi. Je voulais de l’aide, car je ne savais pas comment te le dire ni comment dire cela aux enfants. Mais le temps presse, ma chérie. »
« Comment ça, le temps presse ? »
« Je suis désolé, mais tous les médecins sont clairs. Je ne serai encore avec vous que pour quelques semaines. Il semble que j’ai une maladie génétique, une déformation du coeur. C’est pour ça que je me fatigue de plus en plus. »
« Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible. »
« Tu sais, j’ai eu le temps de repenser à notre vie. Je ne voudrais rien changer de ce que nous avons vécu. Toi et les enfants, vous êtes mon plus beau cadeau. Mais je te veux heureuse, ma chérie. »
« Toi aussi tu es notre plus beau cadeau. Je t’aime tellement.» Le flot des émotions est tellement fort que Sabrina s’effondre dans les bras son mari.
« Maintenant que je suis confronté à cette dure réalité, j’ai quelque chose d’important à te dire : je veux que tu me promettes que tu ne refuseras pas de refaire ta vie. »
« S’il te plaît, Alexandre, ne parle pas de ça ! Je t’en supplie... »
« Sabrina, c’est important pour moi que toi et les enfants, vous soyez heureux. »
« Je t’aime Alexandre et aujourd’hui c’est tout ce qui m’importe. »

Le temps passe toujours trop vite, et encore une fois l’adage se révèle cruellement réel.

Les 4 mois et 10 jours qui ont suivi « l’annonce » d’Alexandre à Sabrina ont sans doute été, pour le couple, les plus beaux et les plus romantiques, mais aussi les plus cruels et les plus durs. Pas question de faire ressentir à Alexandre combien elle était triste. Pas question de faire ressentir à Sabrina combien il avait peur.

Alexandre avait peur de tout perdre. « Pourquoi la vie nous offre tout ce que l’on souhaite si c’est pour nous l’enlever aussitôt. »

Sabrina avait peur de tout perdre. Cet homme qui lui avait fait ressentir la passion sur chaque centimètre de son corps. Cet homme, qui lui avait offert deux beaux enfants. Deux enfants qui, désormais, allaient être orphelins de père, alors qu’Alexandre était un père tellement présent pour eux.

Maintenant, elle allait devoir se montrer forte. Forte pour Léa et Hugo, qui allaient avoir besoin de tellement de soutien. Forte pour elle-même qui devrait affronter l’avenir seule. Et forte pour Alexandre, qui avait montré la voie en se battant pour rester le plus longtemps possible à leurs côtés.