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Allez, lève-toi. C'est pas si dur de vivre, tu peux y arriver encore une journée au moins. Maintenant lève-toi. Allez Leny, lève-toi.
06h00. Un Oeil, puis deux. Je tente de résister, de repousser l'envie de me recoucher. Mais l'idée même d'affronter un jour de plus me désespère. Un vendredi matin, comme tous les vendredis, comme tous les matins. Un vendredi qui annonce le weekend, ce qui pour moi ne change rien. Qu'importe le jour quand on est seul, quand on est rien.
06h05. Une jambe en dehors du lit. Puis deux. Un grand lit. Si grand, si vide. Je me rappelle cette gêne que j'ai ressenti devant ce vendeur.
" Très bon choix Monsieur ! Madame va l'adorer ! Le modèle King Size est fait pour les couples heureux, et réconcilie ceux qui ne le sont pas ", m'avait-il dit comme si l'on se connaissait depuis toujours, accompagné bien sûr d'un clin d'oeil très déplacé. Et le tout dicté d'une voix grave, de sorte que tout le monde l'avait entendu dans le magasin.
Pauvre con. Il n'avait pas pensé, pas même effleuré l'idée que je n'étais pas un couple, et n'étais pas heureux. Pas de couple, pas de réconciliations. Seulement moi, Leny. Mais ce lit, j'ai appris à l'aimer. Lorsque je me débats, je ne tombe pas. Lorsque je pleure, mes larmes ne se voient pas, absorbés bien trop vite par mes draps. Oui, finalement ce lit est mon seul réconfort.
06h12. Un Thé, une tartine. Et aucun goût, aucun plaisir.
06h16. La douche. Moment agréable dit-on ? Pas pour moi. Pas pour celui qui ne peux se voir dans un miroir. J'ai essayé, pourtant. À maintes reprises, me forçant à rester là, devant mon reflet.
Tu vas voir, à force ça va passer. Une minute.. Allez. Deux minutes.. Non. Je ne peux pas. Ne regarde pas ça, ne t'inflige pas ça.
Je me déshabille à la hâte, dos au lavabo. Combien de fois j'ai frotté mon corps, ce truc répugnant, jusqu'à avoir mal. Comme pour espérer qu'il allait disparaître, que cette enveloppe hideuse allait faire place à quelque chose d'autre, quelque chose d'attirant. Trop souvent je me suis griffé les bras, le ventre, les cuisses, pour que l'eau bien trop chaude me brûle.
Regarde, regarde-bien. Vois ces griffures. Tu n'es pas fou, tes douleurs sont réelles. Et un jour, un jour tu y mettras fin.
06h30. Une chemise sale, et l'autre est encore mouillée. J'opte pour la seule chemise propre, même si elle est froissée. Je pourrais la repasser mais à quoi bon, personne n'est là pour le remarquer.
06h45. Comme tous les matins avant de partir, je ne peux m'empêcher de m'attarder dans l'entrée, devant cette photo. Les murs de mon appartement sont blancs, tous sans exception. Pas de cadres, pas de tableaux, rien. Le vide, un peu comme moi, à l'intérieur. Un peu comme si de toute façon je savais que je ne vais pas rester.
Ca fera moins de choses dont il faudra se débarrasser lorsque je partirai.
Pourtant, comme une mince tentative pour rester en vie, une photo demeure depuis toujours sur le meuble de l'entrée. Jaunie, recroquevillée et vieillie, elle demeure pourtant.
Je ne t'ai pas beaucoup aimé maman c'est vrai, mais je sais que sur cette photo, à l'instant où elle a été prise, je t'aimais comme personne ne t'a jamais aimé. Sûrement parce que j'étais gamin, et que je ne te connaissais pas encore. Mais j'aime ce qu'elle représente, aujourd'hui encore. Cette période où l'être n'est que pureté, innocence, insouciance. Ce temps où il est bon de vivre, puisqu'on ne connait ni ne comprend la mort.
Mon pauvre petit Leny, mon pauvre petit moi. Pardonne-moi, j'ai tout gâché. J'aurai pu te rendre heureux. S'il te plaît pardonne-moi.
06h47. Un soupir. Puis deux. Et en fermant la porte, je m'en vais encore vers une journée que je finirais... Ou pas. Comme chaque jour je ne sais pas.