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Le téléphone sonne. Une tonalité, puis deux. Je n'ai pas envie de répondre.
Encore une de ces pubs à la con.
Mais le téléphone ne cesse de sonner. Moins par envie que par agacement, je me décide à décrocher.
- Salut Leny. Comment ça va mon grand ?
J'ai 30 ans du con. J'ai passé l'âge pour ce genre de surnom. Est-ce que t'aimerai toi que je te demande s'il te reste encore quelques dents ?
- Salut Fred, ça va merci. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Fred est un ami de ma mère, et aussi loin que je me souvienne je l'ai toujours détesté. Déjà petit, je ne supportais pas cette façon qu'avait Frédérique de parler, cette manie de vouloir apprendre la vie à tout le monde, comme s'il en avait fait le tour plusieurs fois, comme s'il avait eu toutes les vies.
Un silence se met en place, lourd et oppressant. Je commence à sentir que je ferai mieux de raccrocher. Mais Frédérique, après un long soupir, se remet à parler d'un ton grave.
- Mon grand... Je sais pas trop comment t'annoncer ça... Fiston ta maman nous a quitté ce matin. Tu savais que ça arriverait. Elle était fragile ces derniers mois, son cancer a eu raison d'elle. Et je sais qu'elle aurait voulu que ce soit quelqu'un de proche qui te l'annonce. Je t'ai vu grandir, alors je me considère comme assez proche de toi. Je suis désolé Fiston, c'est terrible. J'en ai vu passer des décès, et celui de ta mère est de loin celui qui m'attriste le plus. Elle a du avoir si peur, seule face à la grande faucheuse. J'ai rencontré un type une fois qui disait avoir vu la mort. ça avait pas l'air beau à voir !
Gros con. C'est plus fort que toi, il faut encore que tu ramènes tout à toi. Même la mort de ma mère il faut que tu te l'appropries. Bientôt tu vas me dire que toi aussi tu es mort mais que tu t'en es sorti.
- Merci de me l'avoir dit. Bye Fred.
En raccrochant je me rends compte de l'incohérence de cette phrase avec la situation. Mais plus absurde encore, je me rends compte du vide infini qui m'habite.
Mon Dieu. Je perds ma mère, et je ne ressens rien. Je suis un monstre, un monstre dépourvu de sentiments. Ou bien c'est ça d'être triste, c'est de ne rien ressentir ? Un verre, il me faut un verre.
Il me reste le fond d'une bouteille de rouge, mais je sais que ça ne suffira pas. L'épicerie d'en bas ferme à 20h, il est 19h52. J'attrape ma veste et mes clés. Mais la sonnette retentit.
Décidément ils ont tous décidé de me faire chier aujourd'hui. Sûrement le voisin du dessous qui vient encore se plaindre du bruit que je ne fais pas.
Je décide donc de faire le mort. À défaut de l'être, c'est un jeu dans lequel j'excelle à merveille. La plupart de mon entourage doit même depuis le temps parler de moi au passé. Mais le "Ding Dong" se fait encore entendre. Mon voisin a toujours été d'une ténacité à tout épreuve. Je me décide donc à ouvrir.
- Et bah, j'ai bien cru que tu m'avais oublié !
Manon m'embrasse furtivement et entre dans l'appartement. Et oui, je l'avais oublié, complètement. c'est terrible pourtant, parce qu'elle ne m'oublie jamais. Chaque anniversaire, chaque fête en tout genre, chaque évènement, elle n'en râte pas un. Malgré le fait que depuis des années je lui répète que non, nous ne sommes pas un couple et qu'on ne le sera jamais, que oui parfois j'ai besoin qu'elle me prenne dans ses bras, par pur égoïsme. Je suis un homme, j'ai besoin d'assouvir mes besoins. Et Manon est belle, ni trop ni pas assez. Juste ce qu'il faut pour que j'ai envie d'elle, un soir de temps en temps. Et lorsque la solitude se montre trop difficile à surmonter, elle reste dormir, mais ce ne sera jamais rien de plus que mon lot de consolation.