Jay domptait ses mots comme elle domptait ses hommes
“ - Loin de moi l’idée de vous apprendre comme les vaincre, au mieux vous apprendrez comment leur survivre. Les orcs sont plus forts que nous, plus nombreux que nous, et ils possèdent aujourd’hui une magie destructrice qui dépasse notre entendement. Mais vous vous battrez ! Vous ne vous battrez pas pour le roi ou un autre grand homme qui vous l’ordonnerait, vous vous battrez et crèverez quand JE vous l’ordonnerais. Vous le ferez pour toute l’humanité, pour la possibilité qu’a chacun d’entre nous de respirer cet air âcre et pestilentiel, pour pouvoir mettre au monde vos bâtards qui donneront d’autres bâtards dont vous vous enorgueillirez jusqu’à votre dernier souffle, ce dernier souffle est tout ce que vous aurez dans votre chienne de vie, faites en sorte qu’il ne soit pas aussi méprisable que les pleutres qui me font face aujourd’hui! ”
Le silence des vaincus était assourdissant, les hommes de l’avant garde nous traînaient dans la boue avec leur rictus incisifs, on aurait suivis ces monstres partout mais ils ne manquaient pas de nous rappeler notre infériorité, j’étais écœuré.
“ -Toi ! Toi, sous la maille, vient ici ! ”
Quand je reprenais mes esprits je réalisais que j’étais le seul à ne pas baisser les yeux de honte, avaient-ils compris qu’elle ferait un exemple ?... Je remarquais maintenant qu’elle portait une combinaison unie de cuir bouilli, ambrée, et parfaitement taillée pour s’adapter à ses mouvements, seul le blason de Cainhurst exposait des dorures finement brodées, toute sa combinaison était vouée à faciliter l’exercice du combat, rien n’était superflu, mais la résistance en pâtissait, la moindre estoc aurait été fatale. Je n’imaginais pas qu’elle puisse utiliser ça pour aller sur le champ de bataille et pourtant cette tenue m’était familière. Trop tard pour reculer, elle se mettait déjà en garde.
-Tu veux peut être le reste de ton armure ? Je ne compte pas retenir mes coups tu sais, si tu ne peux pas survivre à ça autant ne pas donner de peine à ceux qui ramasseront ton corps dehors.
Conscient de la dangerosité de mon adversaire j’acquiesçais, et voilà que cinq hommes m’encerclaient. Ils s’attelaient à attacher plastron et jambières autour de mon corps immobile, je refusais les brassards et les épaulières, j’avais déjà ma maille et l’adversaire allait être rapide. Le silence sembla encore plus pesant derrière le cliquetis des sangles qui se refermaient. Je refusais aussi le casque quand on me le tendît et desserrais certains liens de mon plastron d'acier.
Je marchais lentement vers une table en bois où se trouvaient épées, hallebardes et autres masses d’armes. Je saisissais sévèrement le manche d’une épée similaire à celle que j’avais laissé dans le corps de l’orc, hors de question de mourir ici.
La capitaine allait attendre mon attaque, esquiver et me porter un coup fatal, sûrement au corps, avant de se retirer avec une agilité qui risquait tout de même de me surprendre. Pourtant, son épée était similaire à la mienne, elle faisait bien 4kg, pouvait-elle si rapide avec une arme faite pour s’opposer aux orcs ?
Elle patientait en garde du bœuf, très offensive, elle maintenait son pommeau près de sa tempe et son regard semblait parcourir la lame pour venir se loger droit dans mon crâne. En temps normal j’aurais adopté la garde du fou, épée en direction du sol pour garder une visibilité complète et protéger mes flancs mais il ne fallait pas la prendre à la légère, je gardais mon épée pointée vers elle, pour pallier à toute éventualité. Mes mains étaient moites.
La foudre s’abattit sur moi et j’eus à peine le temps d’opposer ma lame, main gauche sur le plat de l’acier, j’étais à genoux, quelle force ! Elle pivotait déjà pour faucher la jambe qui pointait maintenant vers elle. Un mouvement fluide qui gagnait en puissance à mesure qu’il descendait. Instinctivement, mes mains se joignirent sur le pommeau et je plantai de toute mes forces l’épée dans la terre qui juxtaposait mon pied, comme si un fourreau s’y était trouvé. Le bruit tonitruant de nos lames clôtura ce premier assaut, cependant l’acier tînt bon, elle recula l’espace d’une seconde et j’en profitai pour me relever, mais déjà une estoc assassine se jouait de mon équilibre fragile, je basculais.
Je n’y comprenais rien, chacun de ses mouvements s’étaient mués en réflexes au moment où le combat avait débuté, j’étais dépassé par ces années d’expériences acquises dans le sang et la sueur. Mais une chute équivalait à la mort.
Mes muscles endurèrent douloureusement l’effort surhumain qui me fit faire un saut arrière depuis cette position, mon arme s’extirpait du sol dans le même temps. Puis vint un autre coup en pivot. J’aurai le temps de parer ! Ma jambe droite céda, la garce m’avait envoyé une talonnade cinglante derrière la rotule, impuissant, cette fois la foudre allait fendre mon crâne. Mais fini de fuir, je me propulsai en avant pour la plaquer au sol, je l’aurai, j’allais l’humilier en la faisant toucher terre. Mais j’appris encore à mes dépends qu’on n’attrape pas la foudre si facilement, Jay fit un pas de côté avant même que je puisse penser l’atteindre, j’allais juste m’écraser plus loin comme un minable. Soit.Je balançais mon bras désarmé vers mon épaule et chutait lourdement sur celui-ci, j’arrachais la dernière sangle qui maintenait mon plastron de ce côté. Je roulais sur le dos et la pièce d’armure resta sur le sol, comme pour m’indiquer que mon corps aurait pu s’y trouver à sa place, le temps de dégager mon bras endoloris de sous l’armure que Jay sautai déjà pour me foudroyer une troisième fois, j’opposais fermement ma lame, d’une main, je peux la dévier suffisamment, je dois la dévier. Mon arme sembla passer à l’aiguisoir une nouvelle fois tandis que l’acier tonnait et s’abattait au sol en chatouillant mes côtes. Mon poing libre se serra et j’assenais un violent coup vers la mâchoire qui se présentait à moi, en fait, j’échouais à nouveau alors que Jay se redressait tranquillement, en posant son épée sur son épaule.
“-On s’arrête là, tu es déjà mort cinq fois, il faut être idiot pour parer les coups d’un orq. Encore plus pour compter sur de la ferraille quand l’ennemi te surpasse en force ou en technique.
-Mais là je suis bien vivant, rétorquai-je encore écumant de rage et d’amertume.
-C’est bien pour ça que tu as ta place sur le champ de bataille ”
Je la détestais et pourtant cette phrase effaça toute la frustration, elle m’avait reconnu comme un guerrier, peu importait de se traîner dans la boue ou d’être surpassé, seule comptait la capacité à survivre et la rage de vaincre. C’est tout ce que l’Homme possédait dans ce combat.
Je soufflais enfin, et quand j’essayai de ramasser mon épée, je vis avec surprise que mon poigné était cassé. Quelle force...