Ecrivain en herbe

Jamais deux sans toi

2h03. Trois irradiants chiffres de bâtons, spectre de mon manque de sommeil. Avalée par mon lit sans faim, je laisse machinalement la pulpe de mes doigts tiédis, brasser l’afflux sanguin douloureusement pulsant du creux de mes tempes. Dans cette spirituelle position, digne d’Akinator en pleine devinette internautique, je pense peut-être me découvrir des fibres de télépathe, afin d’extirper toutes les molécules de questionnement qui enracinent et bloquent mon réseau neuronal. Ou plutôt ma production de melatonine, déjà tari par mon débordant pléthore de café. Inutile de vous dresser mon portrait, monochrome de la grisaille de l’existence, en aveugle symbiose avec l’obscurité dans laquelle me plonge la nuit, elle aussi dépourvue de tout halo de limpidité. Seule la gouache cyanosée, appliquée circulairement sous mes paupières inférieures, vient pigmenter la nature morte, que votre œil expert a pu brillamment déceler. 

Mes jours, comme mes nuits, se noient dans cet océan d’inondantes pensées et Morphée qui avait du s’y embuer par le passé, ne semble plus vraiment s’y baigner. Je sens l’essence même de ma vie s’évaporer, et l’air, pourtant épuré, consumer chaque cavité de mon âme déjà ulcérée. Je pourrais dire avoir perdu la notice de la vie, la préface couchée du pourquoi se redresser ; chacun des passe-temps, que je consommais, ne devenant que des souvenirs oubliés.
Enfin, laissez-moi vous éclairer l’antre de mes résonnantes charades. N’avez-vous jamais connu ce sentiment ? Cette sensation de ne pas jouir pleinement de votre absoluité au plus profond de vous même ? De vous sentir contrôlé par une force si céleste, si abstraite, influençant chacune de vos pensées, chacun de vos gestes ? Et si tout cela n’était qu’une immense supercherie ? Si nous n’étions que des bouts de bois, dressés par des ficelles que tireraient avec délectation de êtres dont nous aurions jusqu’alors ignoré l’existence ? « La vie ne tient qu’à un fil » dit-on, mais en comprend-on réellement la fine et fragile portée ? Et si toutes nos histoires n’étaient que celles qu’« ils » se seraient racontées ? Si tous nos maux n’étaient que le fruit de leurs esprits tourmentés ? Si nos destins, n’étaient qu’un hasardeux tracé de crayon de papier sur un brouillon à moitié pelotonné ?


Que deviendrait ainsi l’homme dupé par son sentiment de supériorité, réduit à n’avoir été qu’une pièce du puzzle de ce monde dont il n’admirerait jamais l’irisation de sa réalité ? Suffit-il de se pencher lestement sur les approchants du mot dupé, pour se délecter sans nulle chasteté, des « 50 nuances les plus sales » de l’humanité ? Trompé, abusé, berné, pipé, promené, roulé, carotté, entubé, leurré, pigeonné, embobiné, baisé, grugé, niqué, enculé. Forts et sombres mots, prismes de nos sourds maux.
Mais il n’en est rien de tout cela ; c’est bien nous qui dirigeons ce monde n’est ce pas ? Nous, qui possédons le droit de créer autant que de détériorer. De donner vie autant que de l’ôter. De faire rire autant que de faire pleurer. D’aimer autant que de détester.
Se penser passivement joués et maniés tel le Fou d’un échiquier, contentionné dans son square monochromé, ne serait que fuir nos responsabilités. L’Homme est bien la Dame dans notre jeu de société. La pièce la plus mobile et la plus puissante sur ce champ de bataille que nous nous sommes affairés d’ériger, choisissant de passer par les cases du bien ou du mal à notre gré. La terre dans laquelle nous avons fait pousser la vie, deviendra des copeaux cendrés des richesses de ce monde que nous n’aurions pas su récolter.


L’homme est mauvais, cela est un fait. Mais sachez que malgré l’impression que j’ai pu vous donner, je fais partie de ceux qui ont décidé de l’accepter. Je m’empresse d’imaginer les augustes ailes de cet échevelé Kairos, venir me soulever, et sacrer les aiguilles de l’instant T. Avant est trop tôt. Après est trop tard. Le Temps est cet homme en costume toujours aveuglément pressé, l’Amour est celui qui le bouscule et le met à nu in fine.
Tandis que pour certains elle fut une épée, prendre la plume est, pour moi, une opportunité. L’opportunité de saisir la réalité, de la sublimer, de la nier ou bien de l’embrasser. Je jouis de pouvoir marier des mots qu’il ne faudrait surtout pas entrelacer. « Toute votre richesse est dans les interlignes », m’a-t-on confiée ; ma différence comme seul couplet des chansons que je n’écrirai jamais.